Le 28 janvier de l’an 773, dans un manoir de la grande cité de Solèce, se tenait une soirée organisée par les hôtes et hôtesses de la Maison Casablanca pour dame Blanche de Sénicourt, généralissime des Croisées de Dagoth revenus en Bélénos. Cette dernière souhaitait alors inviter tous ceux et toutes celles qui seraient prêts à l’entendre et à possiblement lui donner leur appui dans ses grands projets à venir. Il fut même annoncé que la chef de guerre serait prête à se montrer très généreuse envers quiconque aurait un prix à nommer en échange de son soutien. Et pour ceux qui voudraient également s’entretenir avec la reine du Trône de l’Est (et donc de Francourt), sa majesté Gabrielle d’Amerolles était également invitée et avait déjà promis sa présence.
Francourt faisant encore officiellement partie du Trône de l’Est, la grande majorité de ses habitants sont considérés comme y ayant des intérêts d’une nature ou d’une autre. Mis à part les Néoviens (habitants du Conclave impériale) et les Prospérois (qui contrôlent le Marché noir), tous étaient donc officiellement invités et tous pouvaient demander faveur.
Un objectif majeur des Estiens et des Croisés étaient d’obtenir une entente de paix avec les Aurélois. Personne ne souhaitait plus cette guerre en Boursicot, mais aucun des parties en présence n’avait envi de céder ou de repartir les mains vides. Aux joutes de diplomaties qui en résultèrent, tous y gagnèrent, mais ce sont les Aurélois qui furent le plus proactifs et firent les plus gros gains : le contrôle de Jaspérie, malgré sa démilitarisation, et une route assurée pour leurs citoyens entre la ville-forteresse, Pistaguer et Francourt, en passant par le Marché Nicolet. Un disciple de Golgoth, Hector Vieux-Vin, fut identifié par les deux royaumes comme le meilleur candidat au titre de baron de Jaspérie et les Croisés acceptèrent même de conclure un pacte militaire si jamais la milice restante se voyait incapable de repousser une quelconque menace.
Il fut également dévoilé au courant de la soirée que Dame de Sénicourt souhaitait proposer de déplacer la capitale officiel du Trône dans sa nouvelle métropole de Pistaguer, les Croisés argumentant que Solèce était partiellement en ruine et aux prises avec une escalade des frictions entre les démonistes et une population déiste qui se sent de plus en plus opprimée. Blanche de Sénicourt ne manqua pas d’ailleurs de souligné l’incapacité de Gabrielle d’Amerolles à calmer ces tensions. À l’opposé, Pistaguer était en meilleur état malgré la récente guerre, était située directement sur la plus grande route commerciale du pays et constitue un endroit idéal d’où relancer le projet de cohabitation des religions.
Ce projet rencontra évidemment une forte opposition de la « reine » et de ses loyaux appuis, qui ne voit dans ce projet qu’une critique ouverte envers la couronne et un moyen peu subtile de s’accaparer davantage de pouvoir et d’influence sur les politiques du royaume. Les discussions ne purent cependant aboutir à une décision ou une entente vu ce qui se produit vers la fin des échanges. Plusieurs équipes furent cependant envoyés sur diverses missions visant à promouvoir les intérêts d’un camp ou de l’autre.
Des rumeurs circulaient déjà pendant les festivités à l’effet que des agents du Conclave se seraient infiltrés ou emparés du palais royal. Plusieurs convives tentèrent par ailleurs de percer ce mystère, mais la réponse vint en fin de soirée alors que des partisans infiltrés du Conclave firent une apparition sur la scène avant de la salle pour faire « éclater la vérité au grand jour » : la soi-disante reine présente à la soirée était fausse – une simple sosie – alors que la véritable reine avait été assassinée par les Bronovich il y a déjà trois jours. Avant de disparaître, ils lancèrent une mise en garde contre quiconque tenterait de suivre l’exemple de Dame d’Amerolles. Qui avait commandité ce crime haineux et pourquoi ? Il faudra enquêter et rencontrer les gens présents sur place pour le savoir.
Oyé gentes damoiselles, damoiseaux !
Votre dévoué rapporteur de nouvelles s’est rendu à Solèce dès le 25 janvier afin de s’imprégner de la ville et de vous livrer les meilleures informations possibles. Il n’y a pas à dire, ce ne fut pas de tout repos!
Rappelons que l’Imperator Blanche de Sénicourt, grande chef des armées Croisés et comtesse de Boursicot, avait convié les Franquistes à son manoir de Solèce pour courtiser ces derniers. Depuis cet été que les rumeurs de désaccord entre elle et la reine Gabrielle d’Amerolles se font persistantes, on peut affirmer sans détours que cette invitation grand public a dû froisser sa Majesté, même si cette dernière avait confirmé sa présence à l’événement.
Or, dans la soirée du 26 janvier, alors que je me promenais au retour d’une bonne pinte dégustée au sein d’un établissement tavernier distingué, un brouhaha émana du château. Rapidement, les habitants constatèrent que de nombreux soldats se rendirent sur les lieux et que le niveau de sécurité semblait démesurément renforcé. Prenant mon courage alcoolisé à deux mains, j’ai tenté de me rapprocher pour en savoir plus, mais je dû rapidement me rendre à l’évidence qu’un aura de silence régnait et qu’il ne me serait pas possible d’en savoir plus ce soir.
Dès le lendemain matin toutefois, je réussi à me percher sur un petit bâtiment pour avoir une vue sur la cour du palais. Là, je fus témoin d’une situation que je ne m’expliquais pas encore entièrement. Des soldats sortaient du palais ce qui me sembla être des corps dans des sacs de jute ensanglantés. Autour, des employés du palais fondaient en larmes. Malheureusement, j’ai été repéré et j’ai dû retourner à mon auberge.
Dans les jours suivants, avant la soirée prévue du 28 janvier, j’ai tenté d’obtenir plus d’informations. Cela fut difficile ! La sécurité du palais était renforcée à un tel point qu’aucun des employés ne semblaient pouvoir vaquer à ses occupations seul. On racontait dans les quartiers ouvriers que de nombreux collaborateurs du palais avaient été arrêtés : boulanger, pâtissier, jardinier, couturière. On disait que quelque chose de terrible s’était produit.
Finalement, c’est lors de la soirée du 28 janvier que j’ai enfin compris. Alors que les convives bavassaient, buvaient et dansaient, l’Imperator Blanche de Sénicourt accordait faveurs et services à ceux qui savaient se montrer dignes de les recevoir.
Les diplomates aurélois travaillaient fort en coulisse pour sécuriser une paix pour la baronnie contestée de Jasperie. Des félicitations leur reviennent à ce sujet, car ils ont réussi à négocier si solidement que Blanche de Sénicourt a concédé le territoire, qui va demeurer aux mains auréloises. Probablement que l’accession prochaine au trône d’Amaury a pesé dans la balance; l’effervescence d’un nouveau monarque pourrait ragaillardir les troupes auréloises et personne n’est intéressé à faire la guerre pour un si petit lopin de terre. Un priant de Golgoth, Hector Vieux-Vin fut choisi par les parties pour assurer la présence d’un baron juste. Je serais surpris que la situation reste stable longtemps, mais qui sait!
La reine Gabrielle d’Amerolles, quant à elle, fit une entrée remarquée et surtout, retardée. Son entourage semblait nerveux et je ne pu m’empêcher de constater que sa Majesté semblait socialement maladroite. Quelques personnes à qui j’ai pu parler m’ont confié trouver que celle-ci ne semblait pas à sa place du tout.
C’est en fin de soirée que la supercherie fût mise à jour. Des Bronovichs semblaient revendiquer un quasi coup d’État et clamaient à qui voulait l’entendre que la reine était morte ! Qui était donc celle qui était assise à la table d’honneur ? Si j’en crois les rumeurs persistantes, il s’agissait d’une pauvre servante…On va jusqu’à dire que Bertrand de Polignac, l’intendant du palais, était l’auteur de cette mascarade, complice avec le duc Jacob Larochen, qui a forcément reconnu qu’il ne s’agissait pas de son épouse. Ils voulaient sauver les meubles, il va sans dire, et éviter que le royaume ne sombre dans une panique généralisée. Il n’est pas impossible qu’ils cherchaient aussi à protéger le siège royal d’une conquête éventuelle de l’Imperator ? Les raisons exactes de cette supercherie ne seront peut-être jamais connues.
Bref, chers lecteurs, cela faisait longtemps que je n’avais pas été témoin d’une situation du genre. Qui a commandité cet assassinat me demandez-vous ? La question demeure en suspens. Mais on pouvait remarquer assez facilement que peu des convives à la table d’honneur semblaient ébranlés de la situation. Je continuerai donc d’enquêter à ce sujet en débutant par les invités.
Votre dévoué,
– Jean Ducharme
Gensses de Jaspérie et des contrés avoisinantes.
Moi, Hector Vieux-Vin, ai reçu récemment l’honneur immense d’être nommé baron de ces terres. Il m’apparaît donc essentiel, en tant que premier geste à ce titre, de me présenter à mes sujets et de clarifier tout doute quant à la manière dont la baronnie sera régie.
Clerc expéditionnaire golgothien de l’Ordre du Livre Éternel, j’ai oeuvré ces dernières années à assurer une certaine stabilité en Francourt, comté dont vous avez probablement entendu parler. J’ai pu tisser des liens courtois et respectueux avec des gensses de tout acabit, certains n’étant pas nécessairement des alliés qu’on pourrait qualifier de naturels ou allant de soi. Qu’à cela ne tienne, l’esprit de diplomatie, porté par la philosophie de Golgoth, notre Père Céleste, a su me porter jusqu’ici. C’est cette même volonté de pallier aux différences, de trouver l’équilibre, qui guidera mon règne sur ces terres.
Depuis lustres la guerre rage autour de Jaspérie. Maintes familles ont perdu un fils, un père. Maintes fermes ont vu une partie de leur récolte disparaître pour nourrir l’effort de logistique derrière tout conflit armé. Célébrons l’immense sagesse des deux camps, tant le travail acharné des diplomates de l’Aurelius que la grâce de l’Imperator Blanche de Sénicourt d’avoir fait autant d’efforts de conciliation mutuelle pour que s’arrête, du moins un moment, le conflit actuel.
Bien que vous comprendrez que je ne dispose pas du pouvoir de garantir que plus aucune guerre ne ragera en ces terres, je vous promets, sur mon honneur et ma foi inébranlable en Golgoth, que je ferai tout en mon pouvoir pour que le fardeau du peuple soit réduit le plus possible.
Nos terres sont littéralement à la croisée de maints empires, royaumes, duchés et tutti quanti. Au sud le Conclave Impérial, au nord Eseldorf, à nos frontières orientales le Trône de l’Est et à l’ouest, de l’autre côté du fleuve, l’Aurelius. Un tel emplacement mitoyen exige d’avoir des politiques qui conviennent à sa réalité, de tendre le plus possible vers une certaine neutralité accueillante mais prudente, un équilibre balancé. J’en appelle donc à la bienveillance de tous les habitants les uns envers les autres, à la tolérance religieuse, à l’ouverture de nos frontières à nos voisins si tant est que leur volonté en est une pacifique et d’échange. Mes proches collaborateurs et moi-même travaillons d’arrache-pied pour sécuriser des ententes avec nos voisins afin de régulariser nos relations avec ceux-ci.
Comme première mesure envers mon peuple, je vous annonce que des messagers iront dans chaque village pour recruter des volontaires pour former une milice d’auto-défense de notre territoire. Patrouiller les chemins, repousser les bandits, garder la bonne entente selon les règles de la baronnie et sous les structures administratives en place, tel en sera le rôle. Jamais nous n’attaquerons, mais jamais, non plus, nous laisserons les nôtres à eux-mêmes ou abandonnés à leur sort: je vous enjoins de participer à cet exercice en montrant à tous et à toutes de quoi des jaspérites uni-e-s sont capables.
Si vous avez quelque doléance, sachez que je prendrai très sérieusement mon devoir de baron envers vous et envers ces terres. Envoyez-moi une missive et vous avez ma promesse que celle-ci sera traitée dans les plus brefs délais et dans l’impartialité la plus totale.
Si vous êtes traité injustement, vous aurez mon appui.
Si vous êtes un bourreau de mes sujets, j’annonce que vous disposez séance tenante d’une courte fenêtre de 6 semaines pour faire amende honorable et chercher mon amnistie. Toute tentative, par la suite, de semer pagaille, zizanie, terreur ou misère en mes terres subira le jugement neutre mais sans équivoque de mon administration.
Que Golgoth, ou qui que ce soit envers qui vos prières sont dirigées, veille sur Jaspérie.
Humblement vôtre,
– Hector Vieux-vin
Clerc de Golgoth
Chef de l’Ordre du Livre Éternel
Baron de Jaspérie